Portrait d’une bien triste mariée

Juan Pantoja De la Cruz -
Portrait de Doña Ana de Velasco y Girón, 1603 //

 

Femme d’affaires espagnole richissime, Alicia Koplowitz dévoile pour la première fois les trésors de sa collection privée. Une collection résolument tournée vers la femme dans toute sa splendeur et sa subtilité. Parfois nous rappelant sa condition dans la société comme avec l’artiste Juan Pantoja De la Cruz qui nous emmène en Espagne, au XVe siècle, à l’époque où la femme servait les alliances politiques par le mariage et n’avait pas son mot à dire quant à son futur époux.

Mais qui est donc cette jeune fille au regard encore mal assuré ? Son teint pâle et ses petites joues roses poudrées nous laissent penser qu’elle est encore bien jeune ! Et pourtant dans cette posture et cet habit d’apparat, de brocart noir, enrichi de fil d’or et d’argent, elle n’a déjà plus l’air d’appartenir au monde de l’enfance. Observez son visage. Son regard trahit une grande mélancolie. Et pour cause, à dix-huit ans, cette splendide jeune fille vient d’être mariée. Elle va devoir quitter le foyer familial pour ne plus jamais y revenir… Vivre éloignée des siens dans un foyer inconnu pour elle. Ce tableau a donc été commandé par ses parents désireux de conserver une image de leur fille avant son mariage. Comme pour la garder près d’eux. Un peu. C’est un portrait d’autant plus émouvant quand on sait que la malheureuse mourra quelques années plus tard, à l’âge de vingt-trois ans, après avoir donné naissance au futur roi du Portugal, Jean IV. Elle laissera son père inconsolable, le duc de Frías pour qui ce tableau est le dernier souvenir de sa fille.


Mais, revenons donc à cette toile. Car, comment ne pas évoquer cette majestueuse fraise en fine dentelle ? Cet accessoire était indispensable à la Cour. Il faut dire que la jeune fille le porte à merveille. Et tant pis si cela n’était pas bien pratique ! En effet son poids imposait de la soutenir par une structure métallique, limitant les mouvements et le champ de vision des élégants de la fin du XVIe siècle, qui entendaient surtout s’éloigner de l’austérité de Philippe II. Pour autant l’influence de ce dernier est encore bien présente. On le remarque à la couleur noire de la robe de la jeune fille. Quel drôle de choix pour un tableau inaugurant un mariage ! Un caprice ? Pas vraiment puisque le noir à cette époque n’avait en fait aucune connotation de deuil. C’est une couleur qui avait prévalu dans le vêtement de cour espagnol durant tout le règne de Philippe II, et qui était encore très souvent choisie sous Philippe III, son fils et successeur.  

L’apparence austère de la robe est largement contrebalancée par la profusion de ses ornements. De sa main blanche, Ana de Velasco y Girón tient délicatement en avant un collier de perles, l’enlaçant de ses doigts comme s’il faisait partie intégrante d’elle. Et comment ! Les perles sont vraisemblablement comptabilisées dans sa dot. Les bijoux, l’or de ce siècle, étaient assimilés à une réserve monétaire. On les vendait ou on les rachetait sans cesse. Les perles se prêtaient particulièrement bien à cette forme de thésaurisation car on les cousait et on les décousait des vêtements autant que nécessaire. Ici, les perles de ce long collier, de la ceinture, des pendants d’oreille et du diadème nous éblouissent. Ce sont des perles d’eau douce, provenant de Russie ou d’autres régions d’Europe centrale ou orientale. Tout pour plaire au Duc de Bragance, le bienheureux à qui la jeune femme a été promise. Une alliance fièrement arborée. Ana de Velasco y Girón, duchesse de Bragance peut-on lire en haut du tableau, un titre exhibé comme un nouvel emblème.

En habit de cour, la jeune duchesse fait honneur à son rang. Admirable dans sa subtilité, la composition est un mélange de force et de faiblesse entre une posture, et un regard qui révèle la fin d’une innocence.

Visible au Musée Jacquemart-André
Jusqu’au 10 juillet 2017
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