Bernard Buffet (1928-1999)

Il fut l’un des peintres français les plus célèbres du XXème siècle et pourtant son nom est tombé dans l’oubli. Tous les journaux parlaient de lui, et pourtant très peu d’analyses scientifiques ont été réalisées sur son œuvre. Admiré ou détesté, adulé ou critiqué, Bernard Buffet n’a laissé – et ne laisse personne – indifférent.

Retour sur la vie et l’œuvre de Bernard Buffet, «  le mal-aimé ».

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Un talent précoce

Né en 1928 à Paris, Bernard commence dès l’âge de 10 ans à peindre et à dessiner. Peu intéressé par l’école, il se fait renvoyer du lycée. Il est passionné par le dessin et prend des cours du soir. La France est alors sous l’Occupation allemande, Bernard brave le couvre-feu pour se rendre à ses cours de dessins. En 1943, à seulement 15 ans, il remporte le concours d’entrée  de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris.  En 1946, à 18 ans, il expose son premier tableau au Salon des moins de trente ans à la Galerie des Beaux-arts.  A 20 ans, il obtient le prix de la Critique, prix décerné par la prestigieuse galerie Drouant-David. A 24 ans, la ville de Paris lui décerne le prix Antral, grand prix de peinture dont la récompense s’élevait à 100000 francs.

Rencontre décisive avec Pierre Bergébernard-buffet-et-pierre-berger

Alors qu’il vient tout juste de divorcer d’un premier mariage qui n’aura duré qu’un an avec une camarade des Beaux-Arts, Bernard rencontre Pierre Bergé avec qui il partagera sa vie pendant huit ans. Dans son livre autobiographique, le futur compagnon d’Yves Saint-Laurent raconte son histoire avec son premier amour, Bernard Buffet : « Il avait vingt ans, j'en avais dix-huit et, comme tous les coups de foudre, le nôtre frappa à la vitesse de l'éclair. Nous nous rencontrâmes dans un café de la rue de Seine, aujourd'hui disparu, Chez Constant. Il buvait du cognac et m'apprit à jouer au 421. » Pierre Bergé devient également son agent et s’occupe de sa carrière, comme il le fera par la suite pour Saint Laurent. Bergé affirmera avoir « frappé aux bonnes portes », convaincu du talent de Bernard. Il donne à Buffet une certaine allure, le rend présentable et l’introduit dans la « jetset ». On appelle Bernard Buffet « l’autre BB », les magazines parlent plus souvent du peintre que de la fameuse BB : Brigitte Bardot. Cette collaboration est fructueuse, la carrière du peintre décolle.  5 ans après leur rencontre, Buffet est désigné comme le plus grand peintre de sa génération. En 1958, la galerie Charpentier organise une première rétrospective de Buffet qui n’a alors que 30 ans. L’exposition est si populaire, que la foule – trop nombreuse- déclenchera une émeute !

La rencontre avec sa muse

Quitté par Pierre Bergé qui vient de rencontrer Yves Saint-Laurent, Buffet fait la connaissance de celle qui deviendra l’amour de sa vie, sa muse : Annabel Schwob. En réalité, le futur couple se rencontre le soir de l’anniversaire des 30 ans de Buffet, fête organisée par Bergé. La raison de la rupture entre Bergé et Buffet reste mystérieuse, mais chacun semble avoir trouvé cette année-là son compagnon de route pour plus de 40 ans. Annabel est mannequin, chanteuse,  fréquente Françoise Sagan et Juliette Greco. A eux deux, ils forment un couple glamour, qui intéresse les magazines people. Cette rencontre influencera surtout son travail. Annabel devient sa muse, son modèle. A partir de 1958, celle qui deviendra son épouse la même année, est présente sur une très grande partie de ses œuvres. En 1961, il présente une exposition intitulée Trente fois Annabel.

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Célèbre mais mal-aimé

Riche, célèbre, Buffet est connu dans le monde entier, vend très bien ses œuvres, vit dans un château et roule en Rolls Royce. Pourtant c’est un succès en demi-teinte. L’intelligentsia se désintéresse de son travail, trop populaire, qu’on qualifierait aujourd’hui de « mainstream ». Il produit bien trop d’œuvres et vend des milliers de lithographies, inonde le marché et s’inscrit ainsi dans une démarche commerciale. Son succès agace, sa manière d’étaler son argent irrite. Il propose un art figuratif alors qu’à l’époque on ne jure plus que par l’abstraction. Il existe très peu d’écrits scientifiques sur son œuvre, au sommet de sa gloire, la presse s’intéresse plus à sa vie amoureuse qu’à son œuvre. Buffet tombe dans une sorte de purgatoire et est boudé par le milieu de l’art. Son fidèle galeriste, Maurice Garnier, qui vendra les œuvres de Buffet dans sa galerie pendant toute sa carrière, déclara : «Bernard Buffet est interdit de séjour dans les collections publiques en France depuis 1958 » à cela il donne deux explications : «André Malraux. Et Pierre Bergé ». Le premier ministre de la culture, en 1959, encourage l’abstraction et de ce fait déteste Buffet. En ce qui concerne Pierre Bergé, Maurice Garnier affirme que même si c’est lui qui fut à l’origine de la rupture, il en garda toujours  « une aigreur, une amertume ».

Une mort brutale

Atteint de la maladie de Parkinson, éprouvant de plus en plus de difficultés à peindre, Buffet met un terme à ses jours le 4 octobre 1999 à l’âge de 71 ans. Son dernier cycle de peinture intitulé La Mort, annonce cette décision mûrement réfléchi. Ces tableaux représentent des squelettes vêtus d’habits renaissance, rappelant les transis et les danses macabres du Moyen-Age. Il avait prévenu son galeriste, Maurice Garnier, qu’il ne pourrait pas être présent au vernissage de cette exposition. On retrouve Buffet dans son atelier, étouffé dans un sac plastique sur lequel est apposée sa signature.

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Et un musée Buffet dans tout ça ?

Si le Japon a son musée Buffet depuis 1971, au pied du Mont Fuji, la France n’a toujours pas de musée consacré au peintre du misérabilisme. Maurice Garnier œuvrera toute sa vie pour que le travail de son protégé soit reconnu et que les plus belles œuvres qu’il a soigneusement conservées rejoignent un jour une institution publique. Des démarches plus ou moins abouties avaient été entreprises mais jamais un musée n’a encore vu le jour. La grande rétrospective parisienne était également l’un des rêves de Maurice Garnier, rétrospective qui arrive deux ans après sa mort.

Le saviez-vous ? Malgré sa notoriété mondiale et son musée au Japon, l’état français n’a acheté qu’une seule œuvre de lui, en 1950 !

Le style Buffet

A une époque où tout le monde ne jure que par l’abstraction, Buffet, lui, continue de pratiquer un art figuratif. Pour Bernard, un vrai artiste se doit de savoir dessiner. La force expressive de l’œuvre de Buffet est impressionnante, si bien qu’on le qualifie de peintre expressionniste. Ses sujets sont sombres, ses personnages maigres, ses natures mortes tristes. Tout évoque une période d’après-guerre peu réjouissante. C’est pour ces raisons qu’on a qualifié son style de misérabiliste.

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La palette de Buffet est grise noire et ocre et, surtout, on reconnait ses œuvres entre mille grâce à un trait noir acéré, taillé au scalpel. Sa peinture est sèche, dure mais terriblement forte. L’absence de couleur n’est pas forcément un choix de la part de l’artiste, mais par manque d’argent. D’ailleurs, lorsque sa situation financière s’améliore, ses œuvres deviennent de plus en plus colorées. On note une nette évolution notamment après 1958, année de son mariage avec Annabel.

A partir de 1952, Buffet change de thème tous les ans, en choisit un puis expose au mois de février à la galerie de Maurice Garnier. Cela lui permet non seulement de se donner une ligne directrice dans son travail, mais également de travailler sur les variations comme l’ont pu faire de grands artistes avant lui tel que Monet et ses variations sur la cathédrale de Rouen.

Quelques thèmes :

Les singes :

Les clowns :

La mort :

Annabel :

Buffet est un très grand connaisseur d’art. Il connait le Louvre comme sa poche et s’inspire de grands maîtres du passé. Il rend hommage notamment à l’un de ses peintres préférés : Gustave Courbet.

Dans son tableau, il reprend littéralement l’œuvre de Courbet conservée au Petit Palais intitulée Le Sommeil. Chez Buffet, tout semble plus triste, le bouquet de fleurs est presque fané, le peigne sur le lit, si précieux chez Courbet, ressemble à un croc chez Buffet. :

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Il s’inspire également de Chardin et sa fameuse nature morte à la raie :


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ou encore de Rembrandt et de son bœuf écorché :

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Si longtemps délaissé par les grandes institutions françaises, Buffet, « le mal-aimé », est presque retombé dans l’oubli après une carrière pourtant marquée par une renommée mondiale. Andy Warhol, célèbre chef de file du pop art, le désignait même comme son peintre préféré. 2016 semble être (enfin) l‘année du retour en grâce du peintre. Non pas une, mais deux expositions, dans deux musées majeurs parisiens le musée d’art moderne de la ville de Paris et le musée de Montmartre, rendent cette année hommage au maître. Deux expositions tout aussi différentes que complémentaires.

Alors que va t-on voir ?

>>Exposition Bernard Buffet au Mam /

>>Exposition Bernard Buffet au musée de Montmartre


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