Après un succès fracassant au Théâtre Mogador et au Casino de Paris, La Dance Company est de retour avec le spectacle à claquettes Stories !

Un décor des années 1950, des jeux de lumières stupéfiants, et une porte qui claque. Plusieurs fois, de plus en plus fort. À mesure qu’elle s’ouvre et se referme, laissant doucement entrevoir un autre monde, apparaissent sur scène les dix danseurs qui composent la RB Dance Company, fondée en 2018 par Romain Rachline Borgeaud. C’est le début du spectacle STORIES, le début de près d’une heure et demie de délicieux vertige.

Nul ne pourrait se douter qu’entre les murs du 13^ème Art, cette salle de spectacle nichée sous le sol du centre commercial place d’Italie, se trouve un autre monde. Un univers aux atours américains et à la musique enivrante. Au cœur de ce nouveau cosmos, la danse est reine, et pour une bonne raison. Dans un spectacle à l’euphorie communicative et à la narration intelligemment déployée, le talent des danseurs transperce à travers la dizaine de tableaux mis en scène, dans lesquels nous voyageons d’un hall d’hôtel jusqu’à un casino, en passant par l’intérieur d’un métro ou la pénombre d’une ruelle. Des décors par ailleurs parfaitement imaginés, mémorables par leur mobilité et leur facilité de métamorphose totale dont on doit l’exceptionnalité à la scénographe Federica Mugnai.

Entre ces grands escaliers amovibles, devenus le temps de quelques minutes le décor d’un bar à cocktails ou d’une station de subway, se révèle Icare, jeune acteur transcendé par les joies du succès que connaissent ses films. Un triomphe rapidement estompé par une folle dispute avec son réalisateur, qui le condamne alors prisonnier de son propre long-métrage. Comme un Inception revisité, le spectacle dévoile une vie dans une autre, un film dans un film, lequel laisse totalement libre cours à l’imagination et à l’interprétation. Une dualité parfaitement interprétée, sans jamais avoir recours à un seul mot parlé à l’exception de quelques « Coupez ! » cinématographiques, constituant ainsi l’un des grands défis de la production relevé haut la main. Ponctué de nombreux clins d’œil aux films musicaux des années 1950, STORIES parsème ici et là des références incontournables, dans des lieux à l’identité remarquable offrant une clarté exceptionnelle au spectateur, renforcée par des jeux de lumières éclatants et sensiblement manipulés par Alex Hardellet dans une combinaison entre nouvelles technologies et éclairages traditionnels.

Sur le rythme d’une musique alliant des sonorités à la fois jazz et sombres, entièrement composée par Romain Rachline Borgeaud (également metteur en scène, chorégraphe et producteur du spectacle), STORIES est un ballet sublimement scénarisé et porté à la vie par dix danseurs à la virtuosité et à l’harmonie collective sans précédent. Transcendante, la chorégraphie se passe bien volontiers d’une voix off venue conter l’histoire à une salle comble, tant l’âme du propos et de la danse se ressentent à travers les fibres de nos êtres. En mêlant jazz moderne et claquettes revisitées dans une synergie parfaite, Icare et ses pairs s’attachent et se détachent, se mêlent et se démêlent dans une explosion d’instincts primaires et d’émotions aux airs de West Side Story et à l’aura signée Bob Fosse. Des références qui n’enlèvent pour autant pas toute l’originalité et l’identité singulière de STORIES, qui se démarque par le talent évident et incontestable de ces danseurs émérites, mais aussi l’élégante mise en scène qui nous garde en alerte constante, passionnés par ces moments de vie défilant sous nos yeux.

Si l’on ne comprend pas toujours où l’histoire nous entraine, là est le trésor brut de cette production : cette invitation irrésistible à interpréter, chacun à sa manière, la narration d’un destin tracé. Entre fluidité déconcertante des transitions et costumes (signés Margaux Ponsard et Janie Loriault) venus sublimer une histoire déjà rayonnante, les ensembles lient ingénieusement ces dix danseurs à la symbiose hypnotique et aux corps connectés, qui alternent mélodieusement entre les styles et les actes. En somme, la standing ovation amplement méritée de la fin souligne une parfaite union entre la tradition et la modernité, qui redonnent ses lettres de noblesse aux claquettes en nous autorisant à nous perdre dans l’histoire, et qui nous saisit d’une envie ensorcelante de suivre le fleuve de la vie sur un rythme exquisément effréné.