Comment faire un chef-d’œuvre ?

Jusqu’au 24 septembre 2017 -
Musée d’Orsay //

C’est l’exposition-événement de l’été: Portraits de Cézanne ! Ici pas de nature morte ni de paysages, cette fois c’est sur les portraits du peintre que l’on se concentre, ses techniques, le choix significatif de ses modèles et l’évolution de son art. Dans cette galerie, tous les visages nous regardent. Tous, sauf un...

 

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Les joueurs de cartes

De l’ébauche au chef-d’œuvre
Une oeuvre en effet arrête notre regard car contrairement aux autres, ce visage ne nous regarde pas. Cette discrète étude, préparatoire aux célèbres tableaux Les joueurs de cartes, en dit pourtant long sur l’artiste et sur sa manière de peindre. En 1890, Paul Cézanne, alors au sommet de sa carrière, entame sa fameuse série Les joueurs de cartes. Il réalise au total cinq tableaux autour de ce motif. Mais pas question de se poser en moralisateur, blâmant le jeu, considéré comme contraire au catholicisme, en représentant des tricheurs ou des débauchés comme l’ont fait les frères Le Nain dans la toile qui aurait inspiré l’artiste. Au contraire, Cézanne peint des paysans honnêtes, droits et rend compte de l’austérité de la vie paysanne qu’il connaît bien. Pour marquer cette rupture, il supprime des références aux compositions classiques au cours de sa série. Par exemple il réduit le nombre de personnages de cinq à deux, se débarrassant des influences de l’iconographie classique selon laquelle tous les âges de la vie doivent être représentés. C’est d’ailleurs ce qui ressort en premier de cette ébauche à admirer au musée d’Orsay: sa simplicité et son austérité donnent le ton de l’ensemble de la série. Mais alors comment la dernière version, plus dépouillée et plus sombre que les précédentes, a-t-elle pu devenir le chef-d’œuvre que l’on retient de cet ensemble ?

La mode des séries
Si Cézanne revient sans arrêt sur ce motif, c’est bien qu’il n’est pas satisfait du résultat ! Il continue de creuser le sujet jusqu’à l’épuisement. Rappelons-nous qu’à cette époque, le chef-d’œuvre unique n’existe plus. Les peintres sont en perpétuelle recherche et il serait par exemple inconcevable de choisir une seule de ses Sainte Victoire, chacune traitant l’objet différemment. Pourtant, une seule version des Joueurs de cartes a réellement marqué les esprits. Il faut observer attentivement les derniers tableaux de la série, dont l’un d’eux est conservé au musée d’Orsay, pour comprendre ce qu’il s’est passé. Ici, la composition est complètement dépouillée, les autres personnages, les détails du décor et de la table ont quitté la partie pour ne garder que l’essentiel : les deux hommes et leur affrontement aux cartes. Avec son incroyable palette de couleur, l’artiste arrive à créer une tension particulière, à nous faire entendre le silence de la salle et à nous faire ressentir cet état de concentration extrême des personnages. En réduisant au minimum les traits et les gammes de couleurs, Cézanne quitte le naturalisme, jusqu’à faire de cette scène une nature morte. Il arrive ainsi à suspendre le temps. On s’incline.

Une bataille d’ego ?
Cette toile a évidemment intrigué de nombreux historiens de l’art. Tous se posent la question suivante : qui sont ces deux hommes ? Et une théorie revient régulièrement : il s’agirait de l’artiste et de son père.  Regardez l’homme de gauche. Il est pourvu de plusieurs symboles d’autorité : il est âgé, porte une pipe et un chapeau haut et rigide. Sa posture est aussi droite que la chaise. A l’inverse, l’homme de droite semble jeune, courbé, le regard triste, portant un chapeau sans forme. On sait que Paul Cézanne entretenait des relations compliquées avec son père, figure même de la réussite, dur et dominateur, le peintre n’a jamais supporté de dépendre de lui, notamment financièrement. Reprenons maintenant l’étude. Tout d’abord, on constate que cette figure (celle de droite donc) demeure presque inchangée dans les cinq toiles de la série, ce qui prouve que la scène n’a jamais existé en tant que telle, mais que Cézanne a réutilisé ses modèles pour aller plus loin dans ses recherches. Ensuite, ce portrait peu flatteur témoigne de la piètre opinion que le peintre a de lui-même, désarroi accentué en présence de la figure paternelle. Finalement, qui remporte cette partie de cartes ?

And the winner is…
Cézanne Junior bien sûr ! Le conflit intensément représenté dans cette œuvre et la souffrance que cela entraîne chez l’artiste rencontre un succès inattendu. Et pour cause, la dernière version des Joueurs de Cartes fait partie des tableaux les plus chers de l’histoire de l’art. Elle a été vendue en 2011 à la famille royale du Qatar par l'armateur grec George Embiricos pour la modique somme de 191,5 millions d’euros ! Aujourd’hui seules deux œuvres ont battu ce record de vente… Voilà qui aurait pu redonner confiance à notre cubiste préféré.

Portraits de Cézanne au Musée d’Orsay
Jusqu’au 24 septembre 2017
1 rue de la Légion d'Honneur, 75007 - M° Assemblée Nationale (12)
Du mar. au dim. de 9h30 à 18h - Nocturne le jeu. jusqu'à 21h45
Fermé le lun.
Tarif : 12 € - Tarif réduit : 9 €  - Gratuit - 26 ans
Accessible aux personnes à mobilité réduite