Les Bacchantes, femmes ou diablesses ?

Auguste Rodin -
Bacchantes s'enlaçant, avant 1896 //

La magnifique collection de Monet est un paradis de l’art classique. Elle dresse un panorama merveilleux des achats et cadeaux les plus précieux de l’artiste, entre œuvres de Cézanne, Renoir et Manet. Mais la pièce la plus attendue, celle qui étonne, c’est l’œuvre de Rodin. Pour la première fois exposée depuis sa création, sa sculpture de deux bacchantes rayonne, couronnée d’une note simple : « Au grand maître C. Monet, son ami Rodin ».

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Un peu de mythologie :

Les bacchantes sont, dans la mythologie romaine, les servantes du dieu Bacchus. Des prêtresses, accompagnant le Dieu dans son cortège. Bacchus, lui, est tout d’abord le dieu du vin. Mais son influence s’étend, et, guidée par les liqueurs, déclenche l’extase, provoquant chez ses fidèles des délires, les plongeant dans un état second, où ils se découvrent alors une force surhumaine et une pulsion créatrice. Bacchus est le symbole de l’altérité et de la différence, et est souvent représenté comme un homme à tête cornue… Un symbole que notre culture relie d’ailleurs maintenant plutôt au diable.

Ces charmantes servantes vénéraient leur Dieu lors de réunions à la puissance dévastatrice appelées des bacchanales. Ces fêtes antiques regroupaient des créatures mythiques, comme les satyres et les centaures. Ensemble ils chantaient, dansaient au rythme des percussions vouées à Bacchus et entraient en transe, aidés par le vin coulant à flots, pour se perdre dans l’ivresse, le plaisir et les débordements du corps. Les bacchantes s’habillaient alors de leurs plus belles parures : peaux d’animaux et couronnes de lierres, symboles de leur attachement à la nature la plus brute, et à leurs pulsions sauvages.

Cette passion charnelle et l’extase intérieure qui en découle fascinent les artistes qui s’imprègnent de la chaleur moite de ces fêtes données en l’honneur du dieu.

La bacchante devient femme :

Grâce à ses origines, l’intrigante bacchante anime donc les débats en société. C’est pendant la deuxième moitié du XIXe siècle que la figure de la prêtresse grandit, passionnant les artistes, et notamment Rodin. La bacchante est une figure maîtresse de l’héritage classique, de par sa présence dans les récits mythologiques. Elle fait alors le lien vers un art plus moderne et moins pudique. Elle devient l’allégorie de la femme, et de son image dans la société de l’époque, plus sensuelle et féminine, plus sexualisée. La bacchante se transforme alors sous les mains des peintres et sculpteurs en l’objet d’un désir certain, d’un regard presque sauvage sur la nudité féminine, qui n’est pas sans rappeler les débordements bachiques… pourtant jugés bestiaux par les hommes de cette même époque.

Femme ou diablesse ? Il faut choisir

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Regardons un peu cette sculpture de Rodin, elle représente deux femmes, si différentes l’une de l’autre, mais pourtant toutes deux appelées « bacchantes ». La première est à genoux, vulnérable, elle semble prisonnière, soumise à la seconde. Celle-ci domine et détient le pouvoir. Si l’on regarde de plus près, on peut la voir s’approcher du cou de l’autre, l’enlaçant dans une étreinte presque vampirique. Essaye-t-elle de l’endoctriner ? De la former aux rites profanes des servantes de Bacchus ? Ou symbolise-t-elle simplement les dangers causés par une femme qui souhaite assumer sa sensualité ?

Ici, il n’est pas question de visage, les deux personnages ne sont pas des êtres particuliers, mais des symboles. Elles témoignent d’une société où la femme est objet de pulsions, mystérieuse, et presque dangereuse. Les jambes poilues de la figure dominante la relient d’ailleurs à une créature infernale, diabolique. Deux êtres qui à force d’étreinte pourraient bien ne faire plus qu’un. Nous voici donc, à travers cette sculpture d’apparence innocente, de retour dans les bacchanales, où les fidèles de Bacchus provoquent la folie et la démesure, ralliant à eux leurs « proies », afin de profiter ensemble de l’extase.

 

 

 

Délire créateur :

Finalement, cette vision des femmes en servantes aux pulsions dévastatrices et à l’amour démesuré pour le dieu de l’ivresse a beaucoup inspiré Rodin. A travers la réalisation de cette pièce pour son ami Monet, il se retrouve malgré lui au milieu des bacchanales, pris d’une puissante inspiration créatrice. Il crée là une pièce maîtresse de sa collection, puisque cette oeuvre est par la suite devenue son point d’appui pour la création de La Mort d’Adonis (1894), et figurera même sur la Porte des Enfers (1887), les bacchantes se faisant dignes représentantes d’un démon à la tête cornue…

Le saviez-vous ?

Les bacchantes sont, dans la mythologie romaine, les servantes du dieu Bacchus. Des prêtresses, accompagnant le Dieu dans son cortège, enivrées des liqueurs, déclenchant tour à tour extase, délires, passions charnelles et autres interdits. Une figure féminine hautement inspirante pour des artistes qui ne craignaient pas la censure.

 

Visible au musée Marmottan Monet
Du 14 septembre 2017 au 14 janvier 2018
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