Jake et Dinos Chapman : Vandalisme inspiré

Fucking Hell - Jake & Dinos Chapman

La notion de « choc » a beaucoup varié dans l’histoire de l’art. Goya, dans les années 1820 peint Saturne dévorant son fils, une toile dont la violence déclenche l’outrage, tout en osant pour la première fois illustrer des thèmes tels que le cannibalisme et l’infanticide. Au début du XXème siècle, les Dadaïstes étaient considérés comme fous, organisant des soirées de débauche où la transe se mêlait à la création. Picasso, sa période cubiste et ses influences primitives ont déclenché la fureur des critiques, qui ne voyaient pas la dimension artistique de ses œuvres.  Pourtant, des dizaines d’années plus tard, ces créations sont devenues de véritables chefs-d’œuvre.

Alors que l’art contemporain s’installe, le choc se normalise, devenant plus banal et passant plus inaperçu. Le XXIème siècle devient témoin de l’avènement du « shock art », qui se spécialise dans le sulfureux et le politiquement incorrect, dont Jake et Dinos Chapman sont l’une des figures de proue. Depuis le début des années 1990, ces frères plasticiens, diplômés du Royal College of Art de Londres et protégés des photographes Gilbert et George, se spécialisent dans des projets visant à indigner leurs spectateurs.

Insult to Injury - Jake & Dinos Chapman

Les deux enfants terribles de l’art contemporain britannique se sont fait connaître en 1991, après avoir acheté une série complète des « Désastres de la guerre », ces gravures de Goya ultra-violentes, réalisées pour témoigner des horreurs de l’occupation de Napoléon en Espagne. Ces dessins les inspirent, puisqu’ils ne se veulent pas vertueux, mais personnels. Pour eux, « Goya est le premier emblème de la modernité, le premier à parler du chaos qui compose une personne ». Une fois en leur possession, les gravures sont vandalisées par les deux frères, qui réalisent une première série de « revisite » de l’œuvre du peintre espagnol, apposant des têtes déformées, grotesques ou monstrueuses sur les personnages déjà existants.

La série, intitulée « Insult to injury », est à mi-chemin entre l’art et le vandalisme, divisant les médias et les critiques. Pourtant, si l’on considère uniquement la dimension financière de cette création, celle-ci ne peut pas être une simple dégradation, puisqu’elle vaut plus que l’œuvre première. Les deux plasticiens, de plus, ne souhaitent pas critiquer la position de Goya, mais au contraire la pousser encore plus loin. En ajoutant un aspect comique aux personnages, ceux-ci se parent d’un cynisme évident, ajoutant un humour insolent à des scènes de torture.

Like a dog returns to its vomit - Jake & Dinos Chapman

En 2005, ils acquièrent « Les caprices » de Goya, dessinant cette fois sur la totalité des gravures, toujours dans le but de déshumaniser le travail de l’artiste, en montrant au spectateur une sorte de plaisir malsain dans cette représentation de la souffrance.

Si les dégradations des gravures de Goya ont permis aux Chapman de faire une entrée fracassante dans l’art contemporain, le reste de leurs créations ne semble pas plus sage. Au fil des années, une fascination certaine pour le Nazisme se dessine. Les installations « Hell » et « Fucking Hell », composées de neuf vitrines où 30 000 figurines de soldats Nazis en uniformes sont présentées, commettant des actes d’une violence extrême offrent un panorama troublant. Des sculptures d’hommes-squelettes portant ces mêmes uniformes, arborant un bandeau rouge au bras, au centre duquel des smileys remplace les swastikas offrent une réflexion cynique sur l’iconographie et le pouvoir du symbolisme. Enfin, l’insolente série « If Hitler Had Been a Hippy How Happy Would We Be » est composée d’aquarelles peintes par le dictateur, transformées en toiles psychédéliques et résolument moqueuses.

Si les créations des deux frères choquent, elles demeurent cependant relativement semblables. Les Chapman revendiquent d’ailleurs cette récurrence : « Nous créons toujours autour de la même idée. C’est ce que font les artistes, ils deviennent obsessionnels et font et refont la même chose ». A tel point que l’on peut se demander si leur cynisme répétitif lassera un jour le monde de l’art…


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