Passée au crible : Caravage à Rome, l'esprit de compétition
Musée Jacquemart-André
Du 21 septembre 2018 au 28 janvier 2019
Du 21 septembre 2018 au 29 janvier 2019 -
Musée Jacquemart-André //
Le peintre romain emblématique du XVIIe siècle est à l’honneur au Musée Jacquemart-André, qui expose brillamment dix de ses chefs-d’œuvre. Si ce nombre peut sembler ridicule, détrompez-vous : c’est déjà un exploit de réunir autant de toiles, en sachant que l’on ne compte qu’une soixantaine d’œuvres authentifiées du maître et que celles-ci se déplacent rarement. Certes, parmi ces peintures phares, les plus monumentales ne sont pas là : les grands formats du Caravage sont conservés pour la plupart dans les églises de Rome. Ainsi, La Conversion de saint Paul, qui mesure plus de 2 mètres, est restée à l’Église Santa Maria Del Popolo et La Vocation de saint Matthieu, qui en fait presque le double, demeure quant à elle à l’Église Saint-Louis-des-Français de Rome.
Cependant, cette présente sélection permet de se rendre compte, par un accrochage malicieux qui met en comparaison les œuvres du Caravage avec celles des autres artistes de la Rome de son temps, que celui né sous le nom de Michelangelo Merisi était décidément doté d’un talent unique. Il suffit d’observer le Saint Jérôme d’Orazio Gentileschi ou, plus parlant encore, de comparer le Jeune Saint Jean-Baptiste à celui de Bartholomeo Manfredi pour voir le traitement particulier dont usait Le Caravage. Son secret ? Le maître du clair-obscur peignait non pas, comme ses collègues, d’après l’antique, mais d’après modèle vivant. Il poussa même ce sens du détail et du réalisme dans son tableau Judith décapitant Holopherne, où la jeune femme prend les traits de la compagne de son ennemi, Ranuccio Tomassoni. Ainsi, son Saint Jean-Baptiste ressemble à un vrai jeune adolescent du peuple, dont la musculature n’aurait pas été exagérée et ses yeux pétillants ne semblent pas extatiques et sérieux, a contrario de l’œuvre « concurrente » … Quant au Saint Jérôme, il arbore, grâce à cette maîtrise de la lumière, une aura sage et mystique qu’une personne aurait acquise à la fin de sa vie, écrivant consciencieusement son évangile, une fine auréole le distinguant discrètement d’un philosophe… Comme si le tempérament excessif du Caravage s’équilibrait élégamment dans ses peintures.
Plus important encore, la confrontation de ses œuvres permet de mettre en évidence l’évolution de ce qui fera la renommée du Caravage : sa maîtrise du clair-obscur. Si, dans Le Joueur de luth peint en 1596 et exposé ici pour la première fois en France, l’on perçoit les prémices de cet éclairage particulier, c’est surtout le rendu de la nature morte que l’on salue : même les notes de la partition de musique sont lisibles... Alors que, dans Le Souper à Emmaüs (1606), dernière toile de sa période romaine, exécutée en exil après le meurtre de son concurrent précédemment cité, le fond disparaît complètement, ne laissant qu’un noir profond sur lequel se détache la scène biblique. Alors que sa vie est menacée, la profondeur spatiale de ses tableaux se réduit, sa palette s’assombrit et les éléments de nature morte disparaissent. Le peintre lombard, dans cette œuvre sombre et introspective faisant écho à son angoisse et son trouble d’alors, a trouvé le style que l’on lui retient aujourd’hui.
Sélectif mais qualitatif, tel est finalement l’apanage de ce magnifique musée du 8e arrondissement : on se souvient de l’exposition « Rembrandt intime » en 2016, assez limitée en nombre d’œuvres de l’artiste hollandais mais ô combien splendide. Encore une fois, sa fausse modestie ne nous déçoit pas.