Elles ont fait l'abstraction, une exposition manifeste au Centre Pompidou
Centre Pompidou
Du 5 mai au 28 août 2021
On se plaît souvent à fantasmer l’artiste maudit qui, du fond de sa petite chambre, mène une vie de bohème et peine à exposer ses œuvres, trop ambitieuses pour être comprises. L’ironie du sort le fait naître homme dans notre esprit. N’est-ce pourtant pas l’histoire tragique de nombre de femmes artistes qui se sont vu refuser les portes des galeries et des musées au seul motif de leur sexe ? Encore aujourd’hui sommes-nous bien incapables de citer une dizaine de noms, tant la représentation féminine est pauvre dans nos expositions. Pour remédier à cela, le Centre Pompidou met en lumière celles qui ont fait l’abstraction, à commencer par Hilma Af Klint (1862-1944), une plasticienne suédoise considérée comme la véritable pionnière de l’art abstrait. Autour d’une centaine d’artistes et de plus de cinq cents œuvres allant des années 1860 à la fin des années 1980, le parcours dévoile la place décisive de femmes trop souvent éclipsées de l’histoire de l’art aux quatre coins du monde.
Peintres, sculptrices, mais aussi danseuses, photographes ou cinéastes... C’est tout un récit du féminisme qui se construit pour illustrer les pratiques et les théories de chacune, revendiquant parfois un « art féminin » ou cherchant au contraire à le dépasser. Si on a voulu faire de l’art abstrait une affaire d’hommes, on découvre pourtant des artistes novatrices, entre les monochromes blancs de la Française Aurélie de Nemours (1910-2005), le design géométrique de la Libanaise Saloua Raouda Choucair (1916-2017) ou l’art algorithmique de la Hongroise Vera Molnár (née en 1924). Tant de parcours qui permettent de réécrire l’histoire, mais aussi de nous questionner plus largement sur l’habituelle hiérarchisation des arts et sur l’hégémonie du modèle occidental.
Trois portraits
Aurélie de Nemours (1910-2005)
A la fois peintre et poétesse, Aurélie de Nemours se forme à l’Ecole du Louvre ainsi qu’aux ateliers de Paul Colin et de Fernand Léger. Progressivement, l’artiste s’aventure dans un travail résolument moderne, où prédomine le dépouillement de la ligne et l’intensité de la couleur. Remarquées au Salon des réalités nouvelles de 1947, ses abstractions géométriques s'exposent dans plusieurs galeries, en parallèle de la publication de ses poèmes. C’est en découvrant l’œuvre de Mondrian que l’artiste renonce peu à peu à ses diagonales pour finir par se concentrer exclusivement sur des monochromes à la fin de sa vie.
Saloua Raouda Choucair (1916-2017)
Considérée comme l’une des premières artistes abstraites au Liban, Saloua Raouda Choucair produit une œuvre éclectique des années 1940 aux années 1990, incluant la peinture, la sculpture, les bijoux, les illustrations et les maquettes architecturales. Son travail est considérablement influencé par ses réflexions sur l’histoire arabe et islamique, revendiquant le rejet de la forme comme une recherche de l’essence musulmane. Ses toiles vives et colorées sont rythmées par une abstraction géométrique reprise dans le minimalisme de ses sculptures de bois et de bronze.
Vera Molnár (née en 1924)
Inspirée par le cubisme et le constructivisme, Vera Molnár s’installe à Paris pour créer « de manière consciente » des œuvres minimalistes et dénuées de subjectivité. Intéressée par les nouvelles technologies, elle cofonde en 1961 le Groupe de Recherche d’Art Visuel (GRAV) qui revendique une approche conceptuelle et cinétique de l’art. Elle devient alors l’une des premières artistes à faire de l’ordinateur son principal moteur de création par l’utilisation d’algorithmes lui permettant de déconstruire la forme dans son espace.
Le saviez-vous ?
A l’initiative de cette exposition, l’association AWARE (Archives of Women Artists, Research and Exhibitions) répertorie depuis plusieurs décennies le travail des artistes femmes afin de leur redonner une place dans l’histoire. Son site permet de faciliter les recherches sur l’ensemble de leurs œuvres, souvent non datées et exclues des grands mouvements artistiques.