La cheminée aux soucis

Henri Matisse -
Profil bleu devant la cheminée //

Si certains tableaux sont tranquillement installés sur les murs des plus grands musées, profitant de l’admiration des amateurs d’art, d’autres ont la vie dure! C’est le cas de Profil bleu devant la cheminée, ce magnifique portrait de Matisse volé, racheté, perdu, retrouvé… Retour sur le parcours rocambolesque d’un tableau malmené.

 

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Une création embarrassante
En mars 1937, Henri Matisse peint ce portrait de la jeune Lydia Délectorskaya, son assistante et sa muse. C’est loin d’être la première fois qu’elle pose pour lui, il a réalisé au moins 90 portraits d’elle ! Pour cette séance, c’est elle qui a choisi cette robe bleue, qu’elle a réalisée elle-même. La composition du tableau est très riche, équilibrée et en apparence classique avec un fond parfaitement symétrique qui contraste complètement avec la position en biais de Lydia. L’éclat des couleurs, la grossièreté du trait et le dialogue entre la figure du premier plan et celle de la toile suspendue au-dessus de la cheminée en font un véritable chef-d’œuvre. Et l’on peut dire que ce n’est pas du goût de Madame Matisse ! Elle demande à son mari de congédier cette muse, trop imposante à son goût. Matisse s’exécute et on comprend pourquoi Lydia a renommé cette toile
Robe bleue, profil devant la cheminée aux soucis, même si le peintre finira par quitter son épouse pour retourner dans les bras de son égérie quelques années plus tard. C’est loin d’être le dernier “souci” qu’a connu la toile!

Le Grand Vol
A peine le tableau achevé, c’est au 21 rue de la Boétie, chez le collectionneur et ami de l’artiste, Paul Rosenberg, qu’il est exposé comme le veut leur « contrat de première vue ». Parfait connaisseur du marché de l’art, soutien précieux aux artistes d’avant-garde encore difficilement acceptés, homme d’affaires hors pair, Paul Rosenberg abrite dans sa galerie de nombreuses œuvres de l’artiste et de ses contemporains. Jusque là tout va bien. Mais en juin 1940, les nazis sont dans Paris. De confession juive, le galeriste doit fuir au plus vite et se réfugie aux Etats-Unis. Il tente en urgence de sauver ses œuvres en les plaçant dans un coffre à Libourne. Mais les Allemands en sont informés et s’emparent du coffre. C’est ce que l’on a appelé le « Grand Vol ». Toute la collection est éparpillée. Les ennuis commencent pour notre
Profil bleu devant la cheminée ! La toile devient la propriété du pillard Hermann Goering qui l’échange rapidement à Gustav Rochlitz, un marchand allemand basé à Paris, qui sert d’intermédiaire aux nazis pour revendre les œuvres d’art dit « dégénéré », à l’encontre des canons allemands. Ensuite, trou noir. Impossible de savoir ce qu’est devenue l’œuvre pendant 10 ans.

Les Retrouvailles
On sait qu’elle a encore changé de propriétaire avant de se retrouver entre les mains de Niels Onstad, un amateur d’art norvégien qui conserve l’œuvre dans son musée à Oslo. En 2012, Onstad prête le tableau au Centre Pompidou pour la grande rétrospective consacrée à l’artiste. Dommage pour lui… Anne Sinclair, petite fille de Paul Rosenberg, reconnaît la toile. La famille demande immédiatement une restitution qui lui sera accordée en 2014. On peut dire que Lydia Délectorskaya était bien à propos en renommant son portrait “
cheminée aux soucis” !

L'Affaire du siècle
Malgré toute cette histoire, on peut dire que ce tableau a eu de la chance. Parmi les 162 toiles spoliées à Paul Rosenberg, certaines n’ont toujours pas été retrouvées, bien que les descendants du galeriste soient toujours à leur recherche. D’autres ont été particulièrement abîmées au cours des différents échanges. C’est le cas par exemple de
La Femme assise sur un fauteuil peint en 1924 par Matisse qui a été retrouvée avec d’autres œuvres volées sous l’Occupation dans un appartement à Munich. Peut-être vous souvenez-vous de l’affaire Gurlitt ? L’un des plus gros scandales de l’histoire de l’art de ces dernières années. En 2012, furent retrouvées chez Cornelius Gurlitt plus de 1300 œuvres remarquables. Fils d’un marchand d’art proche d’Hitler, ayant joué un rôle majeur dans le trafic de l’art dégénéré au profit du régime nazi, il a réussi à vivre 80 ans hors des radars des services sociaux allemands, vendant des oeuvres sous le manteau.

Visible au Musée Maillol
Jusqu’au 23 juillet 2017

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