On croit d’abord les connaître. Ces portraits surgissent comme des échos familiers, hérités des maîtres flamands : fonds sombres, carnations diaphanes, regards d’une intensité presque hypnotique.

Mais à mesure que l’œil s’attarde, l’évidence se fissure. Quelque chose cloche. Les visages semblent trop parfaits pour appartenir au réel, les corps composés de fragments, les identités flottantes, insaisissables. Ce qui paraissait ancien bascule alors dans une étrange contemporanéité. Car les modèles de Sophie Kuijken n’existent pas. L’artiste, héritière des techniques flamandes, les fabrique à partir d’images glanées sur Internet : un bras, un vêtement, un visage, assemblés numériquement avant d’être réincarnés sur la toile. Ce sont des êtres hybrides, chimères discrètes qui portent en elles la surcharge visuelle de notre époque. Entre peinture et numérique, passé et présent, ses portraits révèlent une humanité recomposée, à la fois singulière et universelle. Cette tension entre tradition et invention irrigue toute son œuvre.

L’exposition présentée au Centre d’art contemporain de la Matmut met en lumière une série inédite de peintures sur toiles, panneaux de bois et dessins sur plâtre. On y croise ces personnages fantomatiques, évanescents et pourtant d’une présence troublante, désignés seulement par leurs initiales, comme pour mieux brouiller les pistes. Ils pourraient être n’importe qui, de n’importe où, surgis du passé ou projetés dans l’avenir. Dans ce théâtre silencieux, l’histoire de l’art rencontre l’ère numérique, et le portrait devient un miroir incertain où chacun cherche son double.

CENTRE D’ART CONTEMPORAIN DE LA MATMUT – DANIEL HAVIS
Du 18 octobre 2025 au 1er février 2026
425 rue du Château, 76480 Saint-Pierre-de-Varengeville