On l’a longtemps rangé dans les marges. Qualifié de peintre rustique faussement naïf par l’exigeante avant-garde, Gaston Chaissac reste sans doute l’un des artistes les plus profondément modernes du XXe siècle. Peintre du rebut, poète du quotidien, philosophe autodidacte et épistolier prolifique, il réinventa, sans le savoir, une forme d’art total, au croisement de toutes les lignes : art brut, art populaire, art moderne, mais surtout art indocile, inventif, vivant. C’est cette trajectoire sinueuse et flamboyante que célèbre aujourd’hui le musée d’Art moderne de Fontevraud avec cette exposition aussi ouverte que l’œuvre qu’elle honore. Loin de la rétrospective classique, l’accrochage met en regard les productions de Chaissac avec celles de Picasso, Otto Freundlich et surtout Jean Dubuffet, mais aussi des objets rituels extra-occidentaux, des pièces issues des arts populaires, et des créations contemporaines venues faire vibrer l’écho.
Le fil conducteur ? Le visage, ce motif anthropologique et plastique qui hante l’histoire de l’art autant qu’il obsède Chaissac. Figures naïves, masques grotesques, gueules muettes ou souriantes : tout, chez lui, passe par ce théâtre de l’âme, une grammaire de l’énigme, aussi drôle que poignante. Redécouvrir Chaissac, c’est aussi renouer avec l’essence d’un art singulier : retrouver le droit de ne pas comprendre tout de suite, d’aimer sans théorie, de sourire sans raison.