Dessins sans limite : Chefs-d’œuvre du Centre Pompidou
GRAND PALAIS
Du 16 décembre 2025 au 15 mars 2026
Et si l’on ouvrait les réserves du Cabinet d’art graphique du Centre Pompidou pour embrasser un siècle et demi de lignes insoumises ? Ici, le trait grimpe aux murs, colonise l’espace, se prolonge en image mouvante, dialogue avec la photographie, glisse jusque dans le numérique.
Au Grand Palais, le médium le plus direct et le plus intime de l’art réapparaît comme un laboratoire majeur de l’époque. La force de l’exposition tient d’abord à l’ampleur de la collection : plus de 35 000 œuvres conservées, un gisement rarement montré à cette échelle. Pas de récit scolaire, pas de défilé de dates ; plutôt une traversée sensible des manières de « penser par la main ».
Le dessin y apparaît tel qu’il est devenu au XXᵉ puis au XXIᵉ siècle : un champ d’expériences où l’esquisse se fait idée, la rature mémoire, le papier chantier. Des carnets se déplient en paysages, des séries d’études deviennent des partitions, des traits s’épaississent jusqu’à l’installation. En contre-champ, la fragilité du support – la fibre, la porosité, la réserve – donne à chaque geste la vibration du vivant. Au fil des salles, l’œil reconnaît des familles de gestes plus que des noms : le dessin-archive qui collectionne, classe, relie ; le dessin-espace qui découpe et occupe, de la cimaise à la cimaise ; le dessin-cinéma qui défile image par image et découvre, dans la répétition, une forme de souffle. Parfois, une aquarelle semble respirer comme une pellicule, ailleurs une craie sèche prend des allures de poussière cosmique. Surgissent aussi des feuilles où l’encre se ravine, des frottages qui confondent surface et profondeur, des montages qui mêlent photo et graphite jusqu’à brouiller la frontière des techniques. Rien de démonstratif : plutôt la sensation d’un art qui n’a cessé de tester ses limites pour mieux les effacer.
Cette « actualité » du dessin, la scénographie la fait entendre avec clarté. L’évidence d’un outil peu coûteux, accessible, invite les plus jeunes générations à s’y mesurer ; la rapidité d’exécution, la possibilité du doute, la place laissée au temps court comme au temps long en font un médium à rebours des images instantanées saturant nos écrans. La feuille devient alors un espace de résistance douce : lieu d’invention et de pensée, mais aussi de réparation. Un geste minimal relie, rassemble, recoud – et soudain, le trait parle d’écologie, d’intime, de politique, sans emphase.
Le parcours n’idéalise pas pour autant la « pureté » du dessin. Au contraire : l’ouverture aux autres langages est partout. Le trait se photographie, s’imprime, se filme, se code. Des projections prolongent des suites de croquis, des dispositifs muraux font entrer le visiteur dans la page. Le dessin pense l’architecture autant qu’il l’habite, invente des seuils, fabrique des tunnels visuels, appelle la marche et le détour. Regard collé au grain du papier, puis reculé de quelques pas : la même œuvre change d’état, comme si l’on passait du murmure à la voix claire.
Reste la question du regard : que cherche-t-on dans un dessin ? Une idée à l’état naissant, une émotion sans vernis, la trace d’un corps qui hésite puis décide. Cette exposition rappelle qu’il n’existe pas de « petit » dessin : la moindre étude concentre un monde, un tempo, une météo intérieure. Le Grand Palais rassemble ces climats en un panorama précis et généreux, qui donne envie de reprendre un crayon – ne serait-ce que pour vérifier combien la main sait encore découvrir ce que l’on ne savait pas savoir. En sortant, l’impression demeure qu’un médium réputé modeste a tiré le premier dans les batailles esthétiques de notre temps. Le dessin ouvre, rassemble, connecte. Hors cadre, il agrandit le monde.
GRAND PALAIS
Du 16 décembre 2025 au 15 mars 2026
Square Jean Perrin, 17 Avenue du Général Eisenhower, 75008
M° 1 et 13 (Champs Elysées - Clemenceau)
Du mar. au dim. de 10h/19h30
Tarif : 15 € TR : 12 €







